Sur les rives de la même mer : le christianisme entre l'Arabie du Sud et la Corne de l'Afrique
Marinela Polosa, doctorante, nous présente son projet de recherche.
Mon projet de doctorat concerne l'étude des origines du christianisme dans la région comprenant l'Arabie du Sud (actuel Yémen) et la Corne de l'Afrique (en particulier l'Érythrée et l'Éthiopie) avec une attention particulière sur les relations entre les communautés religieuses qui se sont succédées et se sont établies dans ces régions, c'est-à-dire les communautés juives, chrétiennes et musulmanes.
En réfléchissant sur ce sujet, je suis parti de quelques questions principales : comment, quand et d'où vient le Christianisme dans des zones si décentralisées par rapport au monde méditerranéen et pourtant caractérisées par une importance stratégique du point de vue géographique et socio-économique ? Quelles étaient les relations entre les communautés juives, chrétiennes et musulmanes et quelles étaient les dynamiques qui déterminaient en alternance la prédominance de l'une ou l'autre communauté jusqu'à la disparition définitive de certaines d'entre elles ?
Ces questions sont liées les unes aux autres, en créant un réseau dense de relations entre différentes compétences et professions que, depuis le début de ma carrière universitaire, je considère comme indispensables non seulement pour les études et la recherche archéologique. En effet on pense souvent, de manière incorrecte, que l'archéologie peut être réduite aux seules fouilles archéologiques et aux mois pendant lesquels les chercheurs sont engagés dans diverses missions et campagnes archéologiques nationales et internationales, mais est avec une grande surprise que quand on s’approche à ce monde, on découvre qu'il existe une richesse impressionnante de collaborations et de compétences différentes. L'archéologie est par nature une science d'agrégation, parce qu'elle a besoin d’un travail d’équipe lié à la présence et à l'utilisation de diverses compétences professionnelles qui s’unissent pour atteindre un objectif commun : essayer de répondre, en collaborant et en apportant leurs compétences chacune selon leur formation, aux questions qui émergent inévitablement et heureusement tout au long d'un parcours de recherche.
En revenant au thème de ma recherche, je voudrais commencer mon aventure dans le monde du Christianisme dans la région de la mer Rouge en partant de l'analyse et de l'étude des sources épigraphiques, tant directes (inscriptions et graffiti en sud-arabique, en particulier sabéen et ḥimyarita, hébreu, grec, ge’ez) qu' indirectes (sources bibliques, classiques, en particulier de l'Antiquité tardive, islamiques et littéraires-agiographiques) afin de comprendre comment et quand le Christianisme s'est répandu et quelles étaient les relations entre les communautés religieuses présentes dans la région. L'étude épigraphique des sources directes permet en effet d'entendre la voix des véritables protagonistes, leurs origines (par exemple avec une étude onomastique > étude des noms), leurs croyances (présence d'invocations à la divinité), d'identifier les zones dans lesquelles les différentes communautés résidaient, de s’interroger sur les activités et le rôle socio-politico-culturel qu'elles jouaient. En revanche, l'étude des sources indirectes est fondamentale pour analyser l'idée que les autres, notamment le monde extérieur, se faisaient de ces régions et de leurs habitants. Le seul problème des sources indirectes est qu'il s'agit souvent de sources de seconde main, obtenues par des traductions et/ou d'œuvres d'autres auteurs qui ont repris, traduit et souvent modifié avec leurs propres idées les archétypes, c'est-à-dire les textes originaux, et surtout liées à des périodes différentes par rapport à celles que nous analysons (on dispose, par exemple, de nombreuses sources de l'époque islamique et médiévale, entre le IXe et le XVIe siècle) et pour cela il faut, à mon avis, les prendre certainement en considération mais les utiliser toujours avec prudence.
À côté de l'étude épigraphique, je voudrais développer une étude topographique et géo-morphologique liée aux territoires en question afin d'essayer de comprendre d'où vient le christianisme et quelles sont les routes qu'il utilise. Nous connaissons déjà et la célèbre Route de l'encens qui liait le sud du monde arabe, riche en précieuses ressources locales et non locales, aux ports méditerranéens et le réseau maritime dense de toute la zone de la mer Rouge et de l'océan Indien mais, à partir d'éléments connus, je voudrais analyser la situation territoriale de ces régions, en mettant en évidence les réseaux routiers principaux et secondaires afin de relever non seulement le fil conducteur par lequel circulent les marchandises, les personnes et surtout les idées, mais aussi l'alternance des pouvoirs, les moyens utilisés par ceux-ci et les dynamiques internes et externes qui ont conduit à la domination de l'un et/ou de l'autre. De plus, l'approfondissement de cet aspect, pourrait également permettre d'identifier d'autres sites encore inconnus et dont les traces sont probablement faibles.
Enfin, une étude urbanistique topographique des sites sélectionnés, c'est-à-dire une sorte d'analyse des échantillons liée à la présence des traces épigraphiques et archéologiques, qui permet de comprendre les principales caractéristiques des communautés chrétiennes (étude et analyse de l'évolution urbanistique des sites au cours de la propagation du christianisme, avec une attention particulière aux transformations dans les villes à partir du changement des lieux de pouvoir et d'agrégation socioculturelle et à l'apparition de nouveaux pouvoirs et de leurs sièges, tels que les groupes épiscopaux, les églises de martyrs et/ou contenant des reliques, les églises de banlieue et de cimetière, les nécropoles, les monastères, etc. ). Parallèlement à l'étude de l'évolution urbaine, je voudrais analyser, dans la mesure du possible, les caractéristiques architecturales et structurelles des lieux de culte pour tenter de définir, surtout à travers des comparaisons typologiques avec les régions voisines (Égypte, Afrique du Nord, zone syro-palestinienne, régions arabes (zone côtière occidentale, orientale et septentrionale)), le profil architectural et liturgique de la communauté chrétienne et, une fois encore, d'où proviennent les influences matérielles et culturelles qui les caractérisent. Il sera également intéressant d'analyser le passage des communautés juives aux communautés chrétiennes et enfin aux communautés musulmanes, en prêtant attention aux changements architecturaux qui nous aident à mettre en évidence les différents besoins religieux et liturgiques des diverses communautés.