Une cartographie interactive des recherche à Haïdra

Une cartographie interactive des recherche à Haïdra

Cette mission est effectuée par Aurora Taiuti dans le cadre d'un contrat post-doctoral obtenu grâce à l'appui de l'Initiative Sciences de l'Antiquité, dirigé par Alessandro Garcea. Le travail porte sur le site d'Ammaedara, l'actuelle ville tunisienne de Haïdra.  
 

Présentation du site d’Haïdra en Tunisie et des anciennes recherches

Le site est localisé à la frontière entre la Tunisie et l’Algérie, à une latitude proche de Kasserine et à environ 78 km du Kef, au sud du Haut Tell. Fondée à l’époque flavienne à l’emplacement d’un camp permanent de la IIIe Legio Augusta, l’antique Colonia Flavia Augusta Emerita Ammaedara s’impose dès sa déduction comme tête de pont de l’Afrique Proconsulaire. Sa localisation au croisement de trois grands axes routiers — la route allant de Kartago à Théveste (Tebessa), celle d’Ammaedara à Hadrumentum (Sousse) et la route reliant Ammaedara à Thélepte (Medinet-el-Kdima) — et la présence d’une barrière défensive naturelle, l’oued Haïdra, ont sans doute contribué à consolider son rôle militaire stratégique et à en assurer l’occupation durant plusieurs siècles. La ville antique occupe près de 70 ha au moment de son apogée, et même si une régression urbaine est probablement survenue à la fin de l’occupation byzantine, autour de la fin du VIIe et le début du VIIIe siècle, l’occupation s'est prolongée malgré tout jusqu’aux IXe-XIe siècles. 
 

Ammaedara, plan d’après N. Duval et J.-Cl. Golvin

Ammaedara, plan d’après N. Duval et J.-Cl. Golvin

À l’extraordinaire longévité du site s’ajoute la conservation remarquable de ses bâtiments romains et byzantins : le centre monumental, le marché, les thermes, les mausolées, les fortifications (surtout l’imposante citadelle byzantine) et les églises. Pour cette raison, la ville d'Ammaedara fut une destination privilégiée pour de nombreux explorateurs et visiteurs européens qui, depuis le début du XVIIIe siècle, parcouraient la Tunisie.

Comme le relève N. Duval, spécialiste de la période antique tardive, dans l’un des premiers articles de synthèse 1 , « Les voyageurs du XIXe siècle comme les visiteurs actuels parlent volontiers d’un site grandiose », et il ajoute « Il l’est moins par la géographie même que par l’ampleur du champ de ruines ». Durant près de trois siècles, de 1720 à aujourd'hui, la ville antique d’Ammaedara ou Ad Medera (Haïdra en tunisien) a été explorée, mais si les premiers explorateurs comme T. Shaw, J. Bruce, Sir Grenville Temple ou le prince de Puckler-Muskau évoquent Haïdra en touristes érudits, les suivants vont aller au-delà de la simple description et vont donner à leur expédition un caractère scientifique plus pointu. Des dégagements, parfois de grande envergure, débutèrent dans les années 30, avec G. Dolcemascolo, médecin de la mine voisine de Kalaa Kashba qui entame la « fouille » de plusieurs édifices de culte : églises ou chapelles. 

À partir des années 1960, les missions archéologiques vont être plus régulières et menées de façon planifiée et concentrée, entre archéologues tunisiens (F. Béjaoui et désormais M. Ben Nejma) et français (d’abord N. Duval, puis F. Baratte et désormais C. Michel d’Annoville) selon une problématique définie, en se conformant aux exigences de plus en plus précises de la pratique de terrain 2. Actuellement, le site est au cœur d’un programme de recherche mené par une équipe de chercheurs français et Tunisiens, soutenu par le Ministère des Affaires culturelles, et qui prend pour cadre une nouvelle convention élaborée entre Sorbonne Université et l’Institut National du Patrimoine 3.
 

Les travaux récents et les lacunes dans la documentation

L'attention s’est concentrée sur les églises et sur la citadelle byzantine, l’impact de son implantation dans la ville et le détail de l’architecture militaire. Depuis 2010, la recherche s’est étendue aux édifices civils, les thermes ainsi qu’un monument très bien conservé, mais dont la fonction reste énigmatique, le « monument à auges » 4. Si ces recherches ont abouti à l’élaboration de plusieurs monographies 5 et à la création d’un musée sur le site d’Haïdra, dans l’ancien bordj de la douane, contre toute attente, aucun travail rassemblant la documentation disponible, la plus ancienne comme la plus récente, photographique comme planimétrique, n’a été réalisé.

Cette collecte de documentation sera donc un complément intéressant aux données rassemblées sur le terrain et permettra d’établir une historiographie des travaux sur le site. En effet, durant toutes ces années de recherches, outre des descriptions des monuments ou des fouilles, Ammaedara a fait l’objet de nombreux relevés et d’une couverture photographique, plusieurs fois amendés et ajustés en fonction des travaux et des nécessités. Un ensemble documentaire particulièrement important et en partie inédit est représenté, notamment, par le Fonds Poinssot, conservé en grande partie à Paris, à la bibliothèque de l’INHA, et ressemblant des photographies, des plans, des notes de fouilles et la correspondance épistolaire des archéologues Julien (1844-1900), Louis (1879-1967) et Claude Poinssot (1928-2002) et d’autres érudits ayant travaillé sur le site d’Haïdra. Le dépouillement et la récolte systémique de ce riche dossier sont incontournables pour toute étude exhaustive sur cette ville de l’antiquité. Ce travail permettra en outre d’aborder des dossiers d’études encore méconnus, notamment ceux concernant la phase romaine de la ville et les bâtiments qui n’ont fait l’objet que de fouilles sporadiques. 

Monument à auges, photo d’après Fond Poinssot, 106/42/1, INHA, Paris

Monument à auges, photo d’après Fond Poinssot, 106/42/1, INHA, Paris

L’élaboration d’une base documentaire numérique permettra à d’autres chercheurs, historiens comme archéologues, de trouver des points de comparaisons utiles à une réflexion plus large sur le monde romain antique et byzantin. Enfin, dans l’intention de fournir un outil de travail interactif et évolutif, l’élaboration d’une cartographie SIG rassemblant les références de cette riche documentation (renvois à la bibliographie, aux fonds de photographies, aux plans) est en cours. Elle permettra d'offrir une restitution de l’ensemble documentaire sous une forme graphique de compréhension immédiate et extrêmement pratique.  

La création d’un outil de travail indispensable : une cartographie interactive des recherches à Haïdra

 Ce contrat post-doctoral a donc pour ambition de rassembler une documentation riche et de nature diverse, ancienne et récente, et de la rendre accessible sous la forme d’une base documentaire numérique et ordonnée. Cette base crée, une étude préliminaire sera menée sur certains dossiers dans l’optique de nourrir le nouveau programme de recherches archéologiques. Ce travail de réorganisation et de recherche devrait aboutir à la mise en place  d'une carte interactive SIG sur le modèle de ce qui a été réalisé pour le projet « Chronocarto » par le département d’archéologie de l’ENS-Paris et l’entreprise Géocarta (le projet est mené par M. Dabas, Directeur de recherche au CNRS UMR 8546). Des séries de couches raster et des « boutons » alliant données alphanumériques et vectorielles (lignes, points, surfaces…) permettront de prendre connaissance de la géographie locale d’Ammaedara et d’accéder, via des liens externes, à l’ample ensemble des textes, des photographies, des plans. Il s’agit de proposer des documents consultables, mais non modifiables par le public, et de créer un outil de travail pour les chercheurs.

Exemple de carte interactive SIG du site d’Ammaedara, avec les références des photos et des archives

Exemple de carte interactive SIG du site d’Ammaedara, avec les références des photos et des archives

Aurora Taiuti et Caroline Michel d'Annoville - UMR 8167 Orient & Méditerranée


1 N. DUVAL, « Topographie et urbanisme d’Ammaedara », ANRW, II, 10, 2, Berlin-New York, 1982, p. 633-671 (voir p. 641).
2 Cette évolution a été étudiée par M.-Ch. Maufus en 1977 puis E. Rocca, en 2012. Elles ont exposé la chronologie des visites du site et les données récoltées lors de ces explorations, mais leurs travaux sont restés confidentiels. Voir M. CH. MAUFUS, Histoire et bibliographie du site d’Ammaedara-Haïdra 1727-1975, Mémoire de maîtrise, Université Paris-Sorbonne, 1976 ; E. ROCCA, Ammaedara (Haïdra) et son territoire : étude d’une ville de l’Afrique antique, Thèse dactylographiée, Université Paris-Sorbonne, 2012. Voir également la publication de synthèse de N. Duval : N. DUVAL, « Topographie et urbanisme d’Ammaedara », ANRW, II, 10, 2, Berlin-New York, 1982, p. 633-671.
3 Caroline Michel d’Annoville a proposé il y a deux ans, dans la perspective d’un nouveau pilotage en accord avec les partenaires tunisiens,F. Béjaoui et, désormais, M. Ben Nejam, de prolonger les enquêtes menées à Haïdra en faisant porter le nouveau projet quadriennal sur le devenir des monuments publics durant l’Antiquité tardive et la période byzantine.
4 Sur le sujet, voir le colloque organisé par F. Baratte, E. Rocca et P. Piraud-Fournet « Les salles à auges dans l’architecture de l’Antiquité tardive entre Afrique et Proche-Orient », 29-30 mai 2015, publication en préparation, prévue à la Casa de Velázquez.
5 Voir F. Baratte, F. Bejaoui, Z. Benzina Ben Abdallah (sous la direction de), Recherches archéologiques à Haïdra III, coll. École française de Rome, Rome, 2009 ; F. Baratte, F. Bejaoui, J.-C. Golvin, N. Duval (sous la direction de), Recherches archéologiques à Haïdra IV. La basilique II dite de Candidus ou des Martyrs de la persécution de Dioclétien, coll. École française de Rome, Rome, 2011 ; Z Ben Abdallah, Inscriptions de Haïdra et des environs (Ammaedara et vicinia) publiées (CIL, ILAfr, ILTun) et retrouvées, Tunis, Institut national du patrimoine, 2011.